Rock One Février 2006

Comme à chaque fois que Placebo est à Paris, c'est un peu la bamboula. Avant l'arrivée du groupe pour les interviews, pour les journalistes, il y a des tas de rendez-vous pour caler le prochain rendez-vous où l'on pourra caler l'écoute exclusive du prochain album, des tas de rendez-vous et de coups de téléphone. Même un Martien qui ne connaîtrait pas Placebo et qu'on larguerait 2 secondes dans ce barouf promotionnel serait obligé de se rendre à l'évidence : Placebo est forcément un groupe important, très important.


L'après "Sleeping ..."

En France, Placebo est même un groupe colossal, le pays qui lui réserve le meilleur accueil à tous les niveaux, en termes de billets de concerts comme de disques vendus. Sleeping with ghosts et sa colonie de tubes atteindra bientôt le million d'exemplaires. Alors inévitablement, quand on approche un des trios de rock les plus populaires du troisième millénaire, on se sent un peu une envie de faire des affinités et de dire : "Bienvenue dans notre beau pays, celui qui vous aime tant". Mais, on ne le fait pas. Et, des toutes façons, le sourire que nous réserve Brian Molko met suffisamment à l'aise pour ne pas donner envie d'en faire des tonnes. Pourtant le groupe vient de s'enchaîner quelques journées d'interviews lors desquelles comme chacun le sait, ils auront eu à répondre inlassablement aux mêmes questions. Il n'en reste pas moins cordial. (Steve Hewitt continue de lutter)


Un sens du défi sonique

Après 4 albums au succès mérité mais surtout incroyablement croissant, Placebo, en plus de 10 années d'existence, est un groupe qui a le mérite de sa longévité. Et qui garde la tête sur les épaules. Placebo, chez nous, remplit Bercy à la va-comme-j'te-pousse. Et pourtant, le trio semble venir de décider un changement de cap artistique. Force est de noter, à la première écoute de son nouvel album, qu'il a décidé de réviser les bases de sa musique : le 1er single "Song to say goodbye", annoncé pour le 6 mars, lorgne bien ailleurs des énervés "You don't care about us" ou "Special K" et dans l'ensemble, le groupe semble avoir privilégié les morceaux plutôt groove au détriment des morceaux fast-punk avec des mélodies dont l'évidence ne saute pas forcément aux oreilles dès la 1ère écoute. "Quand nous sommes entrés en studio avec Dimitri Tikovoï", explique Brian, "nous étions avec des idées très décidées sur des arrangements hip-hop et l'utilisation de l'électronique. On partait avec une idée préconçue de notre truc". Force est de reconnaître que malgré son indéfectible image de groupe dark-romantico-post-punk, Placebo s'est aussi imposé au fil de sa discographie, un sens du défi sonique avec des titres comme "Pure Morning", "Taste in men", ou comme en atteste la curiosité qui est aussi la leur, dans le domaine des sons électro. "Mais au final, Dimitri nous a réorientés vers quelque chose de plus naturel, plus proche de nous. Plus rock en fait".


Angoisse typiquement post-moderniste

Si ce 5ème album, "Meds" (un titre qui s'est fait attendre, "en fait, ce fut un gros dilemme pour nous que de trouver un nom à notre disque", avoue Stef), nous donne donc l'impression d'un changement de direction pensé et anticipé, ce ne semble pas être l'avis du groupe. Et l'on s'en trouve alors un peu bête. "Ce que tu nous dis me perturbe", lance Brian Molko. "Nous avons l'impression d'avoir fait quelque chose de très rock et toi tu trouves qu'il est plus orienté sur les grooves". On s'en voudrait presque autant qu'on ne semble pas être le premier journaliste à leur dire ça. Eux-mêmes veulent bien en convenir : ils ont dû s'adapter. S'adapter au succès, à la reconnaissance, à l'idée de faire mieux et de se renouveler à chaque album. "Je crois très sincèrement", avance Brian Molko, "qu'un groupe est contrait de trouver à chaque fois que son nouvel album est meilleur que les précédents. Je sais que ça fait un peu cliché de dire ça, mais c'est vraiment le cas pour Placebo. Dans un sens, c'est malheureux car cela induit que, pour nous, la pression est plus forte à chaque nouveau disque. Mais l'envie de relever le défi est toujours là. Et nous sommes persuadés de la qualité de ce nouvel album. Si nous commencions à avoir ce genre d'angoisse typiquement post-moderniste, qui consiste à penser que tout a déjà été fait en rock et qu'il n'y a plus rien à inventer, nous n'avancerions pas beaucoup". Pourquoi ont-ils alors choisi d'enregistrer avec Dimitri Tikovoï ? "Parce qu'il est jeune et qu'il fourmille d'idées. Ce n'est pas quelqu'un qui se repose sur ses lauriers. Je l'avais déjà rencontré sur le projet Trash Palace, et il a eu une influence énorme sur l'énergie que l'on avait en studio".


Assécher le son

Placebo, plus ou moins forcé de se réinventer, mais avec une classe qui malgré tout force le respect. Car dans le rétrécissement du son et dans ce retour à l'écorce new wave, on doit beaucoup au mis de Flood qui a travaillé avec Nine Inch Nails ou Depeche Mode. En quelques occurrences, ce nouvel album a même des allures depechemodiennes. "C'est peut être pour cela que tu fais référence à ces groupes quand tu dis que le côté rock est amoindri. Nous tenions beaucoup à ce que Flood assèche le son. Il peut peut-être en ressortir un aspect un peu synthétique. Mais sur l'enregistrement, c'est clairement l'aspect live qui primait". On soumet alors à Placebo un paradoxe qui nous chiffonne : il semblerait qu'avec les années, leu côté glamour et hermaphrodite se soit un peu étoffé au profit d'une image plus naturelle. Le sexe a-t-il toujours une place prépondérante dans l'univers de Placebo ? "Je ne peux pas le nier", concède Brian. "C'est vrai que les textes sont peut être un peu plus calmes à ce niveau. En fait, le truc vraiment paradoxal, c'est que plus j'ai de succès et moins j'ai eu de relations sexuelles (il s'interrompt subitement, Ndr). Mais pourquoi je dis ça, moi ? (il éclate de rire, Ndr) Pour revenir à ta question, je crois effectivement que nos préoccupations sont plus axées sur le monde dans lequel on est. Ca s'appelle certainement devenir adulte, mais on a pris conscience de cela, il y a un moment déjà".


Rester un groupe qui s'amuse

Si le groupe amorce très sereinement sa 2ème décennie, plus inspiré que jamais en tout cas, il n'en oublie pas de rester un groupe qui s'amuse (la gueule de bois de Steve, pas même arrangée par un Alka Seltzer, en dit encore long à ce sujet). Un groupe qui s'amuse, mais qui s'intéresse aussi à son époque et qui multiplie les collaborations, les ponts entre les genres. Fier, Brian nous parle de sa collaboration au dernier album d'Indochine et de son amitié pour Nicola. Sur ce nouveau disque de Placebo, les invités sont Alisson Mosshart des Kills et Michael Stipe, l'incroyable vois de R.E.M. "Tu n'as pas encore pu entendre ce duo car il n'était pas encore achevé dans la version de l'album que tu as eu. Mais que dire de Michael Stipe ? C'est l'une des plus grandes vois de ce siècle ! " Et pour Placebo, 2005 a-t-elle été davantage l'année Arcade Fire ou l'année Green Day ? Brian Molko en référence au tee-shirt porté par votre humble serviteur, avance : "Je dirais plutôt l'année Ricky Gervais (l'acteur de la série "The Office" dont la nouvelle série "Extras" cartonne en Angleterre, Ndr). Sa dernière série est vraiment fantastique. Mais au niveau musique, mes grosses claques de l'année sont Death From Above 1979, Antony & The Johnsons et The Arcade Fire, dont l'album est vraiment fabuleux".


Rock One Février 2006
Type
Interview
Date de parution
Non communiquée
Source
Placebflo
Mise en ligne
20 février 2006
Déjà lu
6379 fois

Vos réactions sur Rock One Février 2006