Sleeping With Ghosts - La menace fantôme
Quatrième album et déjà l’heure d’un bilant pour Brian Molko, à la fois girouette et gouvernail d’un groupe qui sait que le surplace est, dans le rock, une coupable régression. Souvent, les noms de Bowie et Placebo ont été associés : on pourrait continuer en évoquant la gourmandise, la curiosité et l’instabilité communes de Molko et du Thin White Duck. Cette capacité à intégrer, à digérer, à squatter les sons qui tombent dans ces oreilles en paraboles a fait de Placebo un turbulent passeur : un trait d’union entre des musiques peu habituées aux honneurs et les charts mondiaux. Il suffit d’entendre Brian Molko évoquer avec humilité et ferveur ses passions – de Queens Of The Stone Age à l’électro-clash – pour savoir qu’ici cette boulimie de sons neufs ne relève pas du cynisme, du calcul, mais simplement du métabolisme le plus élémentaire.
Sur le précédent album du groupe, Black Market Music, la diète, complexe, riche et chichement épicée, donnait à Placebo des ballonnements : les influences conjuguées du rock extrême et d'une électronique ténébreuse rendaient bancale la démarche. Car dans son voyage ambitieux, Placebo s'était prudemment freiné à mi-chemin, raccroché à ses acquis, à son savoir-faire.
Poussé au vice par le producteur Jim Abbiss (DJ Shadow, U.N.K.L.E.), le trio refuse enfin aujourd'hui de choisir son camp : il y aura à la fois plus de guitares et plus de machines. Dans l'histoire déjà agitée du groupe, Sleeping with Ghosts renoue donc avec la fougue mélodique et la mélancolie acharnée de Placebo ou Without You I'm Nothing (vite rebaptisé "Without U2 I'm Nothing" par ceux qui lui reprochaient son emphase). Mais le son, lui, s'est épanoui : moins corseté, anxieux et tendu que sur les deux premiers albums, il se fait aussi nettement moins mécanique que sur Black Market Music.
Hormis des ballades grandiloquentes et hors sujet, ce quatrième album bâtit sous les hymnes réglementaires (les tubesques This Picture, Second Sight ou The Bitter End) de labyrinthiques sous-sols, des fouillis de matière grouillante, épaisse, mouvante. Une écriture à deux vitesses - évidence des mélodies et complexité des arrière-plans (et non plus l'inverse, comme sur le trop vite épuisé Black Market Music) - qui fait merveille sur Special Needs ou English Summer Rain. Sur lequel on entend Brian Molko chanter : "Je suis au sous-sol, tu es au ciel." Une assez belle description de cette écriture en mille-feuille, des obscures profondeurs jusqu'à la lumière.
Céline Rémy, Les Inrockuptibles, 26 mars 2003.
Sur le précédent album du groupe, Black Market Music, la diète, complexe, riche et chichement épicée, donnait à Placebo des ballonnements : les influences conjuguées du rock extrême et d'une électronique ténébreuse rendaient bancale la démarche. Car dans son voyage ambitieux, Placebo s'était prudemment freiné à mi-chemin, raccroché à ses acquis, à son savoir-faire.
Poussé au vice par le producteur Jim Abbiss (DJ Shadow, U.N.K.L.E.), le trio refuse enfin aujourd'hui de choisir son camp : il y aura à la fois plus de guitares et plus de machines. Dans l'histoire déjà agitée du groupe, Sleeping with Ghosts renoue donc avec la fougue mélodique et la mélancolie acharnée de Placebo ou Without You I'm Nothing (vite rebaptisé "Without U2 I'm Nothing" par ceux qui lui reprochaient son emphase). Mais le son, lui, s'est épanoui : moins corseté, anxieux et tendu que sur les deux premiers albums, il se fait aussi nettement moins mécanique que sur Black Market Music.
Hormis des ballades grandiloquentes et hors sujet, ce quatrième album bâtit sous les hymnes réglementaires (les tubesques This Picture, Second Sight ou The Bitter End) de labyrinthiques sous-sols, des fouillis de matière grouillante, épaisse, mouvante. Une écriture à deux vitesses - évidence des mélodies et complexité des arrière-plans (et non plus l'inverse, comme sur le trop vite épuisé Black Market Music) - qui fait merveille sur Special Needs ou English Summer Rain. Sur lequel on entend Brian Molko chanter : "Je suis au sous-sol, tu es au ciel." Une assez belle description de cette écriture en mille-feuille, des obscures profondeurs jusqu'à la lumière.
Céline Rémy, Les Inrockuptibles, 26 mars 2003.