Placebo est-il un grand groupe ? A Place for Us To Dream, la compil anniversaire

8 Note de l'auteur
8

Placebo - A Place for Us To DreamLe beau livret de 32 pages qui accompagne ce best of en deux CDs de Placebo laisse une impression troublante, lorsqu’on sait que les photographies ont été soigneusement choisies par Brian Molko et Stefan Olsdal. David Bowie y apparaît une demie douzaine de fois et l’on sait pourquoi : Bowie aura été le premier à emmener le groupe en tournée, beaucoup de français (dont nous) ayant fait connaissance avec eux lors de l’Outside Tour à Bercy où Molko avait ébloui la soirée de son talent en première partie avant (ou après) qu’un Ian Mc Culloch en petite forme ait poussé la chansonnette avec Electrafixion. On trouve aussi des clichés avec Morrissey (qui s’était barré de la dite tournée inaugurale, en passant) , avec Michael Stipe et quelques autres stars des musiques internationales, comme si le groupe avait eu à cœur, dans cette présentation, de montrer qu’il était, en plus d’un groupe commercialement rentable, un groupe reconnu et adoubé par ses pairs.

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Placebo aurait pu ajouter (bizarrerie) un cliché avec Robert Smith (à moins qu’il ne nous ait échappé), le groupe ayant il y a peu massacré Without You I’m Nothing avec lui ou, par le passé, livré une version plutôt réussie de If Only Tonight We Could Sleep. Etrange absence dans l’album photo du gros Robert, compte tenu de l’importance du groupe anglais dans la genèse et les influences de l’alors trio débutant. Cet album photo en forme de simili bottin mondain doit-il être interprété comme le signe que Placebo « considère » aujourd’hui faire partie des plus grands…. ou au contraire que Brian Molko et Stefan Olsdal, malgré leurs vingt ans de carrière, ont gardé une position d’humilité par rapport à leurs pairs et, en nouveaux riches, témoignent avec fragilité de leurs bons moments de chanteurs groupies. Entre les deux interprétations, notre cœur balance. Molko s’est aliéné une partie de la critique « indépendante » depuis une décennie au moins parce que ses disques étaient moins bons (peut-être), et aussi parce qu’à force d’avoir été trop cool, trop loquace, trop francophone, il était au final apparu agaçant, too much, trop dispo et presque trop propre sur lui (ce qui est sûrement un comble, compte tenu de ses excès passés). Etrange retour de flamme qui fait, qu’à tort, beaucoup de fans de la première heure se sont détournés d’un groupe qui, malgré tout ce qu’on en a dit, a continué à sortir des albums décents et non dénués d’audace, quand la plupart de ses contemporains s’abîmaient dans la répétition ou explosaient en plein vol.

Grand groupe ? Ou grand petit groupe ? La question est probablement dérisoire si on la rapporte à la musique de Placebo. La réponse est vite faite. Evidemment que non. Placebo n’est pas à la hauteur de The Cure. Pas à la hauteur de Bowie. Pas à la hauteur de REM. Pas à la hauteur des Pixies (oubliés eux aussi alors que repris des centaines de fois sur scène). Mais est-ce le sujet ? Après 20 ans et avec cette compilation bien ficelée entre oldies, nouveaux morceaux (le Jesus’ Son dont on a déjà parlé) et reprises/curiosités, le double CD A Place For Us To Dream donne une assez bonne et belle image du parcours musical de Placebo. Et le moins qu’on puisse admettre c’est que les sept albums du groupe contiennent suffisamment de morceaux épatants pour qu’on ait envie de rendre un hommage sincère au petit garçon gothique. Le premier album du groupe est bien représenté sur la compilation et constitue, selon nous, avec son successeur, Without You I’m Nothing, le sommet à deux têtes d’une oeuvre dont les titres forts n’ont ni vieilli, ni perdu de leur puissance vingt ans après. En bon fan, on aurait aimé que Lady Of The Flowers fasse partie de ce double CD, aimé aussi retrouver la négligence punk de Brick Shithouse mais l’essentiel y est. Placebo (l’album) transpire l’urgence et la mal-être par chacun de ses pores-titres : Teenage Angst, 36 Degrees bien sûr, Come Home et Bruise Pristine sont autant de morceaux mémorables et superbes. Without You I’m Nothing est le deuxième album d’un Placebo un peu ralenti et au sommet de sa veine romantique et pré-décadente. La version du titre de l’album partagée avec Bowie n’est pas supérieure à l’originale et on ne se lassera jamais du chef d’oeuvre académique qu’est You Dont Care About Us. L’album est un triomphe de maturité (déjà) et consacre la vision post-Cure de Molko. Jamais Placebo ne s’approchera plus près de son nom de baptême, le Placebo représentant une version moderne (pervertie, neutralisée, blanche mais aussi brillamment efficace et puissante) du remède thérapeutique curiste.

Black Market Music, l’album suivant, marque déjà une transformation dans la routine et la couleur du groupe. L’enregistrement de ce troisième album s’étale sur de longs mois, tandis que les précédents étaient ramassés sur quelques semaines. Les titres sont puissants, secs et amples, inhospitaliers et, pour un certain nombre, tournés vers l’univers des drogues, du sexe, de la perversion, comme si ce chapitre marquait la (lente) corruption qui a gagné Placebo avec le succès. Le romantisme de Without You I’m Nothing est remplacé par une noirceur gothique, mécaniste et quasi malsaine un peu étouffante déjà et qui pourra en rebuter certains, lorsqu’elle deviendra carrément maladive/narcotique, sur Sleeping With Ghosts et surtout Meds. Moins représentés sur la compilation (on note la présence du surprenant Slave To The Wage, en partie samplé chez le Pavement de Texas Never whispers), le Placebo de cette époque devient un peu plus (faussement) scandaleux, mais aussi plus froid, plus mécanique, plus dépressif comme si le personnage de Molko l’avait emporté sur le compositeur. Cela n’empêche pas certains morceaux de fonctionner à la perfection : Special Needs, Special K, The Bitter End et quelques autres valent toujours le détour, même si les schémas vocaux de Molko semblent se répéter, les compositions mélodiques se ressembler. L’ennui est le plus grand des défis sadiens. La suite (deux albums) se passe de commentaires. For What it’s worth et Ashtray Heart (premier nom du groupe) sauvent les meubles et illustrent ce qu’est devenu le groupe, pour le meilleur et pour le pire.

Agrémentée de quelques raretés, la compilation A Place For Us To Dream présente le groupe dans toute sa diversité parfois agaçante mais le plus souvent brillante. Placebo a su modeler une esthétique qui lui est propre depuis le bagage post-gothique qu’avait contribué à façonner The Cure. En piochant à droite à gauche dans sa galerie d’idoles, le groupe n’en aura pas moins investi plusieurs terrains sonores (punk, rock progressif, glam, pop, électro clash, rock FM), traçant un sillon moins roublard que tortueux, moins opportuniste qu’évolutif. A un degré moindre de virtuosité, le parallèle avec Bowie n’est pas totalement incongru et justifie l’omniprésence de ce dernier dans le livret. Le groupe aura mué en 20 ans sans se renier, présentant des visages qui tantôt mettaient tout le monde d’accord et d’autres fois étaient juste taillés pour les masses. Placebo se sera montré à la hauteur des temps qu’il traversait. On a les grands groupes que l’époque mérite.

Tracklist
CD 1
01. Pure Morning (Radio Edit)
02. Jesus’ Son (Radio Edit)
03. Come Home
04. Every You Every Me (Single Version)
05. Too Many Friends
06. Nancy Boy (Radio Edit)
07. 36 Degrees (Version 2016)
08. Taste In Men (Radio Edit)
09. The Bitter End
10. Without You I’m Nothing (feat. David Bowie)
11. English Summer Rain (Single Version)
12. Breathe Underwater (Slow)
13. Soulmates
14. Meds (feat. Alison Mosshart)
15. Bright Lights (Single Version)
16. Song To Say Goodbye (Radio Edit)
17. Infra-Red
18. Running Up That Hill

CD 2
01. B3 (Radio Edit)
02. For What It’s Worth
03. Teenage Angst
04. You Don’t Care About Us (Radio Edit)
05. Ashtray Heart
06. Broken Promise (feat. Michael Stipe)
07. Slave To The Wage (Radio Edit)
08. Bruise Pristine (Radio Edit)
09. This Picture
10. Protégé Moi
11. Because I Want You (Redux)
12.Black-Eyed
13. Lazarus
14. I Know (Version 2008)
15. A Million Little Pieces (Radio Edit)
16. Special Needs (Radio Edit)
17. Special K
18. Loud Like Love

Ecouter Placebo - A Place for Us To Dream

Liens

Lire aussi :
Placebo / Collapse Into Never – Live in Europe
Placebo / Never Let Me Go [So Recordings]

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